Témoignage de J C Vermot Gauchy

22 mai 2011

Hier j’allai à Chambéry . (…) Je vais essayer de cibler, afin d’aller à l’essentiel.

C’est passionnant, osé, surprenant.
La première salle visitée (celle de gauche en entrant) est sublime, effrayante, bouleversante. Tu livres là un monde, ton monde, une « intimité » (dérangeante pour moi à certains moments, surtout dans la manière dont ces « reliques » sont exposées.)
C’est puissant. Très « triste », très chargé. Violent.
Au centre ton histoire sous vitrines, comme scellée à jamais, définitive, morceaux de vie comme insectes morts épinglés sous la lumière, scénario en noir et blanc pourrait-on dire, où seules les couleurs du bois du fer de la pierre respirent peut-être encore un peu, mais c’est « vieux », usés, ancien, pré-historique presque, monstrueux… Les larmes souvent arrivaient, une telle douleur, une telle violence, une telle cruauté. Une telle dureté !
Ta table des souvenirs est saisissante, comme celle de la mort de la mère et celle aussi de la fin de l’amour. Le carnet avec l’anorak pour Bruno à 3 Frs et les souliers pour Bruno à 6 frs et qq… Toutes ces choses assemblées comme auto-portrait m’ont touchées. Enormément.
Oui, TOUCHER.
Visions touchantes d’un homme sur lui-même. Aux prises avec lui-même, avec ses peurs, ses obsessions, ses pulsions, ses désirs, ses cauchemars, ses phantasmes…
ça c’est une chose, mais…
Toute la force de cette salle, pour moi, se situe aussi et grâce à cette relation du Moi central (le tombeau est en trop à mon sens !!) avec le monde, ce Moi qui s’expose est pris par le monde, est environné par lui.
Sur les murs les photos sont d’une force incroyable et viennent laver nos yeux ! Ton regard si dur et brutal sur toi-même, sans compromis, si direct, devient alors bienveillant, poétique, coloré, politique, et ta peinture elle aussi me bouleverse et m’enchante

l’humanité est là, l’humanité du monde et soudain notre regard sur les vitrines s’adoucit, quelque chose se creuse grâce au monde, grâce aux autres, et tout prend une réelle dimension artistique unique et nécessaire. L’ouverture au monde, l’ouverture sur le monde propulse tes propos intimes vers lui et cette « projetée », cette « projection », nous donne à voir et à entendre, nous donne à te voir et à t’entendre. Ton écoute du monde me touche énormément.

Très belles les photos du père sous l’arbre, le patriarche est là, gardien du musée du fils, mais la mère n’a pas sa place d’image-sujet, et c’est troublant.

(Je pourrais questionner certain choix de photos. Pourquoi faire à tout prix un « tour » du monde ? Pour nous dire que tu es allé dans de nombreux endroits du monde ? Ou est-ce vraiment toujours pour de « bonnes » raisons ?)

Et une autre chose m’est apparue mais surtout après la visite de la deuxième salle.
J’y reviendrai donc.

Visite de cette deuxième salle et là j’ai saturé un peu pour parler vite.
Trop d’objets. A la fois les installations très « art brut » sont belles. Tu as le génie de créer des univers et des lieux mais, comment dire, c’est une partie de toi que je connais bien, et qui du coup m’a beaucoup moins touché.
Seules dans cette salle, une fois encore, tes toiles ! Elles sont vraiment tout à fait étonnantes.
Elle est belle tout de même cette salle Bruno, je pense que les visiteurs seront saisis, mais pour moi c’est un peu du « déjà vu ». Tu aurais dû faire des choix plus pointus. Tu as voulu tout y mettre et l’espace ne s’y prête pas. Mais ce que je dis là est très subjectif et j’espère que c’est ainsi que tu l’entends.

Et j’en viens donc à cette réflexion que je me suis faite.
Il me semble que pour cette expo, tes installations plastiques sont en lien avec un passé, bien sûr, mais un passé artistique également. Il me semble qu’aujourd’hui tes créations théâtrales n’ont plus tellement à voir avec ce que tu proposes là. C’est le côté Shaman de ton théâtre, celui que, depuis plusieurs années maintenant, tu as « dépassé ». Dans cette deuxième salle, c’est ton théâtre d’avant me semble-t-il, celui de Passacaille, Les disparus, Sonatine….. qui s’exprime, sorte d’archives d’un théâtre passé, mais capital bien sûr, mais quelque chose de nostalgique s’exprime là très fort et ça m’a fait étrange. Comme si tu montrais tes « débuts » théâtraux, les premières armes de ce théâtre qui aujourd’hui fait celui que tu es. Il aurait presque fallu une troisième salle avec, me semble-t-il, ce que tu fais aujourd’hui. Vois-tu ce que j’essaie de dire ?
Pour parler vite c’est comme s’il y avait eu une nécessité, pour toi, pour cette première expo, de revenir aux sources, et en cela tu as entièrement raison, mais il me semble que ton théâtre aujourd’hui est autre.
Là tu nous montres le côté « Shaman », le versant « Shaman », c’est passionnant, je le redis, mais pour moi qui te fréquente et travaille avec toi, cet endroit d’invention et de création me semble « daté ». Attention, daté ne veut pas dire sans intérêt. Juste qu’il lui manque sa part de présent.

Bon, j’espère que ce que je dis là ne sera pas « mal » interprété. C’est pour moi un vrai cadeau que tu nous fais. Dommage que ça soit si loin, sinon j’irais régulièrement, voir et revoir.
(…)