Diffusion
Création le 5 mai 2025 à la Comédie de Saint- Etienne
– Du 5 au 7 mai 2025
à la Comédie de Saint-Etienne
2025 – 2026
– Théâtre du bois d’Aulne (Aix en Provence)
– MC93 Bobigny
Distribution
Réalisation : Bruno Meyssat
Avec :
Gaël Baron,
Philippe Cousin, Elisabeth Doll, Paul Gaillard et
Stanislas Nordey.
Régie Générale :
Pierre-Yves Boutrand
Scénographie:
Bruno Meyssat et Pierre-Yves Bouttrand
Lumières : Franck Besson
Son : Etienne Martinez
Presse
Production Théâtres du Shaman
Coproduction: Comédie de Saint-Etienne, (en cours)
Théâtres du Shaman est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Auvergne Rhône Alpes,
la Région Auvergne Rhône Alpes.
Plonger les choses dans la lumière, c’est les plonger dans l’infini.
Léonard de Vinci
C’est encore en méditant l’objet que le sujet a le plus de chance de s’approfondir
Bachelard
Préambule
Réaliser un spectacle avec des objets à la place des mots.
Non pas un spectacle avec un sujet externe à ces choses mais à partir de ces choses mêmes. Aller au plus loin des possibilités d’un théâtre affirmant le rôle central des imaginaires croisés des acteurs et des objets, à destination d’un spectateur actif qui les reçoit avec sa mémoire intime et sa pensée.
Partir de ça.
Espérer encore davantage des forces du subconscient et de l’aléatoire au sein du travail de construction (une aventure unissant étroitement interprètes et technicien(e)s.)
Des thèmes pourront venir en cours de travail mais ils gisent au départ au sein des choses et de l’ensemble qu’elles forment. Les objets sont donc choisis pour eux mêmes parce qu’ils sont appréhendés comme des agents de mémoire et de singuliers potentiels. Ils sont autonomes et suffisants pour s’adresser au spectateur et lui faire ressentir leur « mana ». Ils se hissent au rang d’acteurs principaux.
En somme, scénariser à partir des objets et des choses (ces éléments non manufacturés) en privilégiant les chaines d’associations qui éclosent entre eux. Pour ce faire, répéter est aussi frayer un passage pour que ça arrive : les objets se désirant entre eux et par notre entremise. Nous, leurs porteurs et les observateurs, favorisons les correspondances fugaces et multiples, celles qu’il ne faut pas manquer.
On peut qualifier ce projet « d’écriture de plateau ».
Pourtant, en usant des outils concrets du théâtre et de l’improvisation, nous ne réaliserons pas un spectacle indexé aux impératifs de la narration. Il ne s’agit pas de scénariser encore et encore en contournant le texte dramatique, et du reste aboutir à des saynètes aux paroles de séries.
De l’écriture de plateau, nous sauvegarderons l’ouverture native qu’elle permet. Maintenir au plus loin cette réalité plastique puissante issue d’un hors les mots.
Le plus important demeure : s’adresser par la langue du plateau qu’on a dégagée à la créativité et à la mémoire sensible du spectateur.
C’est une forme de foi dans la vigueur des archétypes qui nous habitent et qui agissent en même temps pour nous qui inventons les actions scéniques et pour celles et ceux qui les accueillent.
Poser cette réalité, un état de ce théâtre possible, c’est viser la représentation même du monde sans raconter d’histoires. Ainsi la peinture s’est dépouillée au fil des décennies.
Quand on demanda à Érasme, le théologien hollandais,
alors sur son lit de mort, de quoi il avait besoin,
il répondit : « d’un cercueil ».
PAUSE 1
J’ai soixante quatre ans et je fréquente les objets comme tout le monde depuis longtemps et pourtant pas comme tout le monde.
En fait aussi loin que je me souvienne, les objets m’ont imprimé très fortement. Presque fils unique (mon frère avait onze ans de plus que moi) j’ai souvent dû compenser ma solitude grâce à ces choses qui faisaient fratrie pour moi. Cela a pu être un dictionnaire que je fréquentais assidument, mais aussi des catalogues.
Ma première activité résolue a été de collectionner, des pierres, des timbres, des pièces. Mon premier achat a eu lieu dans notre cour de récréation, j’étais alors en CM1, Je me revois encore acheter une médaille frappée en 1790, pendant la révolution française. J’étais fasciné par l’âge de cet objet, par son invraisemblable chemin jusqu’à mes mains. Je n’en revenais pas de pouvoir ainsi toucher la grande Histoire. Mon père avait connu aussi cette rencontre avec l’au- delà.
Jeune, il avait ramassé une pièce romaine en balayant notre cour de ferme. Une monnaie à l’effigie d’un consul de Lugdunum qui « régna très peu de temps au IIIè siècle. Il n’en existerait que deux exemplaires. Ce fait de légende privée a marqué durablement sa mémoire, il en parlait souvent, saisi par la profondeur du temps qui s’était ainsi manifestée à lui. Cet épisode rappelait combien vif était son regret de n’avoir pas pu être scolarisé correctement et de
n’avoir pu approfondir son salut, cette affection pour l’histoire.
C’est le premier objet trouvé d’une longue série qui nous relie.
Au sujet des objets,
voici quelques approches qui nous interpellent,
celles qui concernent particulièrement ce projet.
Voici le chemin :
L’objet au plateau au Théâtres du Shaman
Un projet de théâtre s’inaugure le plus souvent par les mots. Ce sont eux qui lèvent les imaginaires. Nous avons fait le contraire et opté pour un théâtre dont les objets en sont comme « des unités de langage ». C’est l’objet qui conduit vers l’événement et non le langage. Des paroles et des textes peuvent poindre ensuite du fait des objets et de leur commerce mais non l’inverse. Il s’ajoutent seulement lorsque les comportement que les choses ont engendrés ont été coordonnés. L’objet a donc toujours été central pour nous. Une évidence. Et dès le début.
Nous ne sommes pas guidés par des convictions animistes, celles qui postulent l’objet comme agissant, doué d’une autonomie en vis à vis des hommes. Nous explorons et composons à partir de ce qui se passe entre les objets et nous, les influences que ces réalités qualifiées d’inertes exercent sur nos actions, nos sentiments, nos décisions.
Ce ne sont pourtant pas des outils. Ils ne servent pas à fabriquer. Ce ne sont pas des accessoires.
PAUSE 2
Dès le début nous avons rassemblé des choses plutôt que partager un texte car mettre en scène de façon usuelle nous semblait une aporie.
La part d’inconnu désiré vraiment n’y était pas assez intense, ni assez inattendue. J’ai compris assez tôt combien les choses ou les objets sont l’occasion pour l’acteur de revivre des événements par des actions enchaînées dans l’élan naturel (mais si difficile à trouver) de l’improvisation.
Cet état d’attention flottante et d’agir « sous influence » m’ont incité à construire une méthode, à formuler des protocoles facilitant ces éclosions merveilleuses: ne pas passer par la raison pour recueillir des actions qu’on n’aurait pas pu décrire avant de les observer. A leur passage reconnaitre son désir, informe auparavant. L’objet était le giron de tout ça, la condition de cette rencontre avec l’inconnu : un théâtre pré-verbal, une exploration plastique de ce qui nous arrive au plateau hors des mots partagés.
Balzac, saisi lui même par l’appétit des choses (« ne devenez pas collectionneur, on appartient à un démon aussi jaloux, aussi exigeant que le jeu. Je suis chasseur et voilà tout… ») écrit :
Moi je crois à l’intelligence des objets d’art, ils connaissent les amateurs,
ils les appellent, ils leur font : Chit ! chit !
Le cousin Pons- 41
Distinction des objets
Habituellement, le sujet du spectacle choisi, sa mise en route commence pour nous par la collecte des objets. C’est une longue et patiente séquence. Ils sont repérés, choisis non pas idéalement, en apriori, mais de visu, dans l’intuition immédiate, concrète, d’une connexion avec un des aspects du « grand sujet » sur lequel on travaille.
Par ces articles on en identifie les plans cachés, des espaces seconds (ainsi l’adage connu : « un train peut en cacher un autre »). Leur vue, leur apparition, ouvrent le travail dramaturgique. Encore faut-il les repérer, les « mettre au point » quand on les voit au sol, sur une table, en tas, sertis d’autres objets qui tous postulent à votre attention. On distingue, on se penche, on saisit : ceci a des correspondances avec les lectures
habituellement pratiquées en amont du plateau. Et les prémices dramaturgiques impliquent toute une attention flottante : entendre des paroles, voir des choses.
Le fait est que ce que nous créons est déjà là. La créativité réside dans la manière dont nous parvenons à la perception par l’intermédiaire de la conception et de l’aperception. Ainsi, quand je regarde une horloge je la créé mais je prends bien soin de ne voir des horloges que là où je sais qu’il y en a. Ne rejetez pas cet échantillon d‘illogisme absurde, regardez-le, au contraire, pour pouvoir vous en servir.
Winnicott. Conversations ordinaires- 74
C’est l’objet qui nous fait penser à quelque domaine inclus dans le sujet qui nous occupe.
Par lui, on rejoint une de ces dimensions profondes. Le sujet présente alors des homologies avec ce qui se brasse dans notre âme, avec les mille formes qui nous occupent. L’objet nous indique en quoi un sujet nous concerne dans notre vie. Il est l’occasion de se constater, de prendre connaissance dans le monde extérieur (partagé avec les autres) de ce qui se « tumulte » en notre for intérieur.
Mais à quel moment a-t-on identifié l’objet pour ce qu’il est ? « Nous attendait-il ? »
« L’action précède toujours la pensée » avance l’alpiniste Reinhold Messner. Pour avoir survécu à l’ascension en solitaire et sans oxygène des « quatorze 8000 » de notre planète il est une référence…
Enfin, personne n’est éloigné des mondes de l’objet. Celles et ceux, il en est, qui se disent « sans objets », n’en ayant élu aucun, se déclarant libéré(e)s d’une telle emprise produisent une question nouvelle : « Où ont-ils disparus ? Qu’est ce qui les a
remplacé ? ».
L’inconscient peut être bien embêtant pour les gens qui pensent, mais l’amour l’est aussi pour les évêques
D. Winnicott
Les trouées. Rideaux fendus.
Je rencontre un objet et je me souviens de ce que j’avais oublié, et qui m’attend.
Freud écrivait et recevait environné par de très nombreux objets antiques, ainsi des statuettes en grand nombre posée sur son bureau, devant ses livres. Un visiteur rapporte à propos de cette foule :
« Il nous a dit aussi que ses statuettes et ses figurines l’aidaient à fixer l’idée évanescente, l’empêchaient de la voir disparaître tout à fait . »
in Rodin et Freud collectionneurs- 104
Les choses rencontrées sont trouvées et crées à la fois. L’état où nous emmène l’objet fait qu’on perçoit les informations qu’on connaissait déjà sans y penser. On n’invente que ce qui est déjà là en nous.
Ce que Winnicott évoque par ces mots :
« Cette chose, l’as-tu conçue ou t’a-t-elle été présentée du dehors ? L’important est qu’aucune prise de décision n’est attendue sur ce point. La question elle-même n’a pas été
formulée ». Jeu et réalité-46
Nos protocoles de travail s’appuient sur des dispositions naturelles et partagées que Donald Winnicott (1896-1971) nous a aidé à comprendre. Ce psychanalyste pour les enfants a aimé et décrit les façons dont le nourrisson développe ses premiers liens avec le monde.
Il a constaté puis pensé le rôle décisif des objets dans cette période de l’existence, la façon dont le jeu apparait dans cette Zone intermédiaire d’expérience qui n’est ni le réel ni le fantasme.
L’écriture de plateau, usant des objets, présente des correspondances avec ces faits premiers. Il s’agit de la pousser à « son plus loin ». Celle qui germe par la chose et l’acteur se rencontrant dans le présent. Il faut préciser que l’improvisation est
déclenchée par un énoncé, un bout de langage, une phrase. C’est bien le verbe qui provoque les associations. L’étincelle est de langage et les effets sont physiques, des coordinations d’actions.
Avec de tels protocoles le spectacle réside comme « à l’intersection » de deux groupes se faisant face : des choses et des personnes.
Donc, choisir des objets puis observer leur rencontre avec les acteurs, les éclairer c’est se placer dans cet état de « liaison » où ce qui devait se tenir ensemble s’approche doucement. Il y a là, il est vrai, la conviction que « cela devait arriver ». L’objet est un destin.
Ce que André Breton exprime à sa façon (lui ramasseur de cailloux devant l’éternel) :
« Les pierres continuent à parler à ceux qui veulent bien les entendre. A chacun d’eux elles tiennent un langage à sa mesure : à travers ce qu’il sait elles l’instruisent de ce qu’il aspire à savoir ».
Breton. Perspective cavalière-163
Enfin, les choses et les objets manufacturés sont exposés, puis regardés, touchés par l’acteur et l’histoire de chacun et chacune est sollicitée.
Il importe de bien se préparer comme « regardant ». Une intégration la plus complète possible des dimensions diverses du sujet travaillé est requise. Ce que « représente » ce sujet est devenu un motif à restituer par le mode d’expression inventif du subconscient.
Puis vient ou ne vient pas l’exposition émouvante, un instant offert sans parures, sans protections. Cette parution est source de grand plaisir autant pour celui ou celle qui agit que pour celui qui regarde. Et il est fréquent que ce temps retrouvé soit ancien.
Quels objets ?
La psychanalyse avance que l’objet est ce par quoi une pulsion cherche à atteindre son but, à savoir un certain type de satisfaction. Elle ajoute que l’objet est aussi un moyen contingent de la satisfaction, qu’il n’est pas forcément le bon.
Comme il n’est pas lié à l’origine de la pulsion il est l’élément le plus variable de cet événement. Mais il n’est pas aléatoire étant très souvent marqué de traits singuliers et déterminés principalement par l’histoire infantile de chacun.
Dico Psy 290-291
Souvent c’est un objet manufacturé mais son âge le déploie de façon nouvelle. Il transcende par ces usages son caractère de « fabriqué en série ». L’objet déjà utilisé, écorché, abimé, réparé est additionné des multiples spectres de son histoire. Des apparitions-disparitions qui encore le côtoient. C’est ce que l’on ressent, donc cela active.
« Cette curieuse passion pour les objets touchés par une personne célèbre est la preuve la plus évidente de la
croyance de l’homme à une sorte de trace de survie dans l’objet. Celui-ci serait comme imprégné de la
« mana » de ses possesseurs successifs. ».
Maurice Rheims. La vie secrète des objets – 205
Que réveille l’objet ?
« L’objet ce figurant humble et réceptif, cette sorte d’esclave psychologique et de confident tel qu’il fut vécu
dans la quotidienneté traditionnelle, cet objet là possède ainsi -les meubles tout particulièrement- en dehors
de leur fonction pratique, une fonction primordiale de vase, qui est l’imaginaire. »
Baudrillard-Le système des objets-38
Notre vie c’est l’accueil instantané de multiples pensées, imageries, soliloques inentendus, percepts discrets. Toutes et tous se côtoient et s’impactent en nous.
Entretissés serré, nous ne percevons qu’une infime part de leur dialogue ou de leur combat. Cette polyphonie active, l’objet vient l’impacter. C’est son talent.
De ce contrepoint intérieur infatigable, il peut sélectionner et désigner la pensée qui restait « derrière », celle diminuée par la prévalence que possèdent d’autres forces plus conventionnelles ou acceptables par notre esprit qui aspire à l’équilibre.
Comment l’objet opère-t-il pour aviver ce qui demeurait discret et qui est le véritable écho en nous d’un événement ?
L’objet semble en contact plus vif avec tous les domaines sensibles de notre mémoire globale (celle puissante et qui ne se contourne pas). L’objet n’oublie rien et nous avec lui.
PAUSE 3
« Est-ce vraiment une armoire ? Si quelqu’un se trouvait devant ces morceaux de meubles sans le moindre grand-père pour lui en expliquer l’histoire véritable, il aurait quelque raison de rester la langue pendante (…) Le diable lui-même a laissé sa marque maudite sur sa porte gauche, une empreinte noire et luisante qui dégage encore, quand on la frotte, une odeur d’enfer. Je peux le dire, j’ai essayé. »
Pierre Jakez Hélias. Le cheval d’orgueil. 93-95
Contenants à ouvrir.
L’objet est tout simplement (et c’est sa complexité) le vis à vis permanent de nos existence et le témoin le plus intime de nos émois, de nos détresses, de nos joies. Sa centralité n’a d’égal que sa discrétion. On appréhende, on se représente nos affects en
occultant ces agents « inertes ». On agit comme si notre vie sensible et psychique avait lieu dans un espace vide, neutre : un vis à vis exclusif avec « nos autres », les humains.
Où sommes nous quand nous faisons ce à quoi nous passons en fait la plupart de notre temps, à savoir quand nous prenons plaisir à ce que nous faisons ? Pourrions nous y voir plus clair en évoquant l’existence possible d’un lieu où les termes du « dedans » et du « dehors » ne s’appliqueraient pas exactement ?
Donald Winnicott.
Ce que fait l’objet sur nous est sous estimé, sous perçu. Son activité est largement subliminale. Il est le dépôt actif de toutes nos projections, ces opérations qui transportent à l’extérieur de nous des réalités internes afin de les fixer. Activités prisées d’autant plus que ces contenus sont ces parts intimes qu’on méconnait ou qu’on refuse.
La projection est un moyen originaire contre les excitations internes que leur intensité rend trop déplaisantes. Elle présente bénéfice notable d’accorder pleine croyance à ce dehors qui représente bien le réel puisqu’il est abondé et investi de toutes nos
croyances.
Ce transfert nous définit et il désigne l’importance des Choses Avec Nous. Pour l’acteur l’Objet, c’est le parfait miroir de ses impulsions. C’est un outil de connaissance.
Y-a-t-il un rapport entre s’endormir et improviser ?
Plusieurs « autres » activités éclairent notre sujet
Certaines activités, quelques passions nous aident à mieux définir la nature de nos investissements dans les choses. Leur écart des normes habituelles et cette réalité comme chauffée à blanc qui les caractérise nous offrent maints enseignements.
Par leurs témoignages on peut regarder ces liens noués entre objets et humains de façon plus détaillée du fait de l’intensité des investissements et d’autres urgences.
L’objet nous tire donc le portrait.
L’exemple des collectionneurs. Les possédés des objets
Regardons ce que cette aire nous apprend.
Pour le collectionneur, ce spécialiste obstiné des objets, l’urgence des affects révèle quelques aspects cachés de nos intentions et de nos attentes quant aux choses.
Décidément ces possédés sont aux avant-postes.
Ces fascinés des objets, les collectionneurs, vivent une relation ardente et exclusive avec eux. On parle là de situations où pour son détenteur l’objet n’est définitivement plus une chose.
Cet amour parfois entier encourage des situations excessives.
Quelques témoignages de collectionneurs :
« Deux experts m’ont dit que c’était un faux. Deux autres m’ont dit l’inverse. Et le doute s’est insinué dans mon esprit et je n’ai plus aimé cet objet. On ne peut pas faire de distinctions entre la beauté et la vérité. Quand on sait que c’est un faux, on ne peut plus y croire. Il est complètement désamorcé. La forme ne suffit pas. L’esthétique est exorcisée. Je ne peux plus le voir. Et maintenant avec le temps je dirais qu’il m’indiffère. »
B.Derlon et M. Jeudy-Ballini. La passion de l’art primitif-30
Ici s’exprime l’importance de la connaissance dans notre lien sensible avec les choses, particulièrement quand il s’établit sur un rapport d’exclusivité (« mon objet ») et qu’on a déployé un effort important pour l’obtenir (souvent au détriment d’un(e) autre). On a besoin d’authenticité « en retour ». L’espérance que ressent notre amitié avec cet objet, cette idéalisation (qu’on sait au fond de nous faillible, superflue) doit s’établir sur des bases sûres, dans une amitié non entachée de suspicion. L’objet doit être franc. On ne peut projeter sur lui nos contenus qu’en état de sécurité intérieure. L’investisseur cherche des personnes de confiance or il le fait parfois dans un état de désordre intérieur, un paradoxe.
Un commissaire priseur témoigne :
« Lors des enchères tout amateur s’entend dire des chiffres que sa raison quelques instants plus tôt, lui aurait
interdit de prononcer. L’émotion peut être telle que la même personne « pousse » contre elle-même, et si le
commissaire priseur rectifie son erreur, elle s’affole encore plus croyant qu’on ne veut pas de son enchère. »
Maurice Rheims. La vie des objets – 37
Mais On ne questionne pas un homme ému. René Char
Pause 4
Le disque de Phaistos est un disque d’argile cuite découvert en 1908 sur le site archéologique du palais minoen de Phaistos, en Crète. Il pourrait dater du milieu ou de la fin de l’âge du bronze minoen (IIe millénaire).
Il est couvert, sur ses deux faces, de hiéroglyphes imprimés à l’aide de poinçons. En tout, ce sont 241 signes, dont 45 différents, qui recouvrent le disque, en formant une spirale partant de l’extérieur vers le centre de l’objet. Son usage, sa signification et même son lieu de fabrication font l’objet d’âpres discussions.
À ce jour, aucun autre objet similaire n’a été retrouvé.
De nombreuses théories entourent ce disque, quant à sa provenance, son utilisation ou sa signification. Alors qu’il n’est pas encore certain qu’il s’agisse d’un texte, la plupart des chercheurs penchent pour cette hypothèse. Certains chercheurs avancent l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un faux. Le disque original est exposé au Musée d’Héraklion.
Souvent l’objet est si investi par son possesseur qu’il existe tel une véritable personne. On cite le cas d’un chasseur qui disait de son fusil, un « ami » : « si vous le connaissez bien, vous savez quand il veut du gibier ».
Mais qui est-ce ?
Ailleurs s’exprime crûment la nature de l’investissement dont l’objet est le creuset, soit un dépôt d’affects variés qui trouvent là leur réceptacle :
Et ce besoin impératif d’y croire, de vivre ces relations imaginaires, le bien que cela représente, hors la raison, est rappelé encore par ce fait troublant :
Spérati, artiste ou faussaire (1884-1957- actif à Aix les bains) parvient à fabriquer des timbres de telle façon qu’aucun expert n’arrive à déceler si ceux qu’il leur présente sont de sa fabrication ou un des exemplaires émis par les services postaux. Il affole à tel point les philatélistes que ceux-ci désarmés devant une imitation si parfaite, préfèrent lui donner une somme considérable pour qu’il arrête son industrie.
Devant les tribunaux, jugé pour fraudes aux douanes, il se présenta non comme un faussaire mais comme un
créateur de la philatélie d’art et comme le bienfaiteur des petits collectionneurs auxquels ils prétendaient offrir
ainsi à bon compte des exemplaires introuvables.
Maurice Rheims. La vie étrange des objets – 7
D’autres accidents de l’Histoire rappellent combien dans le domaine des objets la valeur n’existe que par la connaissance ou l’imaginaire développés à leur occasion. Quelques événements peuvent leur faire perdre toute distinction. D’élection prodigieuse ils pourront rejoindre le rang commun, voire celui de déchet. Là le pas de côté par rapport aux objets communs (rareté, ancienneté, provenance d’exception..) qui les caractérisaient, n’existe plus. Cette élite s’évanouit comme un rêve car son estampille n’était qu’humaine
Des poteries exhumées par Schliemann à Troie sommeillaient dans les musées de Berlin. Désireux de protéger les œuvres d’art du fait des bombardements, les Allemands les dispersèrent dans tout le Reich. Ces poteries furent envoyées dans un petit village. En 1947, quand on a voulu les reprendre, il n’en restait plus trace. Les gens du pays ignorant l’intérêt de ces objets s’en étaient servie pour célébrer un vieux rite souabe consistant à casser la vaisselle, le soir de leurs noces, devant les fenêtres des jeunes époux.
idem-126.
Certains objets n’ont donc pas de prix. Ce Fait est central. Au sein de la réalité partagée, la valeur est une convention. Elle manifeste cette part de croyances que nous leur portons et dont nous ressentons le besoin véritable. Ce sont des supports, des véhicules
admis pour héberger nos passions qui ne peuvent résider à leur bonne place.
On retrouve là Winnicott et les mondes de la prime enfance qu’il a observés. Il nous rappelle combien la rencontre avec le monde extérieur fut longue pour le nourrisson que nous avons tous et toutes été. Une authentique conquête.
Suivent ces mots que l’on connaît bien de lui sur ce sujet :
L’objet, tout d’abord phénomène subjectif, devient un objet perçu objectivement. Ce processus prend du temps, et des mois et même des années doivent se passer avant que l’individu puisse s’adapter aux carences et aux privations, sans distorsion des processus essentiels qui sont à la base de la relation à l’objet.(…)
En bonne santé l’objet est créé, non pas trouvé. Cet un aspect fascinant de la relation à l’objet. Un objet est bon pour l’enfant que si il a été créé par lui. Dirais-je créé à partir du besoin. Cependant l’objet doit être trouvé pour être créé. Ceci doit être accepté comme un paradoxe.
(…)
Être en relation avec des objets est un phénomène complexe et le développement de la capacité d’être en relation avec des objets n’est en aucune manière, simplement une question de processus de maturation (…)
Winnicott- De la communication et de la non -communication.
L’exemple des visiteurs du Très Haut
En haute montagne, en Himalaya et ses zones de la mort (au delà des 7000 mètres d’altitude) ceux et celles qui s’y aventurent et en reviennent témoignent comment un objet oublié, échappé des mains peut endommager le corps, la vue voire oblitérer toute
chance de survie. Combien un objet présent par miracle dans le sac, et utilisé autrement ou à contre-emploi peut sauver. Une vie pour quelques grammes dans ce paysage de l’action où tout se résume à ce qu’on peut atteindre avec les mains. Dans ces immensités l’objet est Le partenaire suffisant. Parfois jusqu’à l’insolite :
Le Nikon posé sur la vire à côté de nous se met en marche tout seul. Le moteur s’emballe comme si un fantôme
appuyait sans discontinuer sur le déclencheur. Je hurle :
-qu’est ce qui se passe ?
-c’est l’électricité dans l’air
ça fait ça ! Il faut partir immédiatement
Greg Child. Théorème de la peur – 292
La haute montagne et ses mondes convoquent un homme à nu, dans sa vérité et en observation directe avec son psychisme. Et cet homme, en deniers recours, dans les tourments physiques et mentaux, rencontre comme jamais un objet, infime, souvent celui qui n’était pas attendu et qui semble prendre les choses en main. L’extérieur, celui qu’on tient en main, vient au secours de la détresse qui, sans formes a tout envahi.
Hermann Buhl, lorsqu’il redescend seul du sommet du Nanga Parbat et de nuit, à 7500 mètres d’altitude, se souvient :
Tout à coup j’éprouve une impression de vague et d’insécurité dans le pied droit. Que se passe-t-il ? Je vois avec
terreur la courroie de fixation de mon crampon disparaitre au dessous de moi. La fermeture s’est détachée et l’incident a failli m’être fatal. D’un geste rapide je rattrape le crampon de justesse, mais je n’ai pas de courroie de rechange, pas le moindre bout de ficelle. Je suis debout sur une jambe et mes bâtons de ski sont mon seul soutien. Je parviens à tracer avec la pointe des bâtons une mince entaille, simple rainure dans laquelle ma chaussure nue trouve un appui provisoire pour permettre à l’autre pieds cramponné, lui, de faire un pas en avant et de mordre la glace.
La manœuvre est très risquée. J’avance comme en rêve. Soudain il fait sombre (…) Pendant tout ce passage le compagnon que je ne vois jamais, et qui m’est pourtant si familier, ne me quitte pas. L’illusion s’accentue dans les endroits difficiles. Et cette idée m’apaise.
Hermann Buhl. Du Tyrol au Nanga Parbat. 363-367
Hospitalités des choses. Ainsi, les historiens nous rappellent l’importance de l’aiguille à coudre pour les mouvements de populations du Grand Nord. Comment ce modeste bout
d’os a généré des migrations. En effet, il a permis de réunir deux peaux ensemble pour réaliser de nouveaux vêtements protecteurs. L’aiguille a ouvert la possibilité de déplacements plus audacieux. Encore aujourd’hui, on peut collecter au Népal de modestes pendentifs où on conserve précieusement une aiguille dans un étui fourré.
Il m’arrive de m’observer moi-même.
Quand mes crampons dérapent de quelques millimètres, j’ai de la peine à me rattraper. Ce sont eux qui mordent la glace juste avant que je ne perde l’équilibre: ils font d’eux-mêmes ce qu’ils ont à faire. –
Reinhold Messner. Nanga Parbat-171
« Fiche technique »
Si peindre est votre matériau, alors comment vous peignez peut signifier davantage ce que vous peignez.
Morton Feldman
donc,
5 ou 6 interprètes
1 régisseur manipulateur au plateau
35 jours de répétitions sur 3 cessions, du deuxième semestre 2024 au premier semestre 2025.
Durée de la séance: non connue
Un travail de préparation important :
Lecture partagée. Mais aussi écouter les acteurs parler des objets de leur vie, dans leur vie. Ceci permettra de circonscrire davantage le type des objets qui seront impliqués au plateau. Nous éliminerons alors certaines pistes.
En amont, avant l’arrivée des acteurs, prendre soin des objets. C’est un travail « à la table ». Premières connexions hors des répétitions. Comment les groupes d’objets résonnent et se connectent. Composer des familles de choses. Tests en lumière.
Dispositif frontal du public pas sûr (ou). Possibilité de spectateurs sur le plateau.
Part accrue de l’aléatoire au montage des séquences, et (parcellaire) en représentations ?
La musique et le son joueront leur rôle décisif
Les séquences du spectacle possèdent leur autonomie comme les mouvements d’un quatuor présentent des tempéraments et des tempi différents.
Possiblement :
Montage/bifurcation : deux espaces où l’action poursuit son chemin sur deux aires différentes perçues par le public en même temps pour ensuite se rejoindre dans un espace unifié. Le montage montrant ainsi deux options possibles.
Une séquence dans le silence profond.
Des séquences où ne restent plus que les gestes de l’acteur, l’objet absent.
Un objet regarde une séquence
Une séquence « éclairée » non par un son ou des musiques mais par une voix off seule et en continu, un texte assez long.
Cette phrase de Luis Bunel en viatique :
En écrivant le scénario je voulais introduire quelques images inexplicables, très raides, qui auraient fait dire aux
spectateurs : « ai-je bien vu ce que j’ai vu ? ».
Mon dernier soupir – 246
Et ,
nous savons d’expérience que lorsque les domaines du subconscient et des croyances sont activés, les objets ne sont jamais bien loin.
Chaque grain de sable,
chaque pierre sur le sol,
Chaque rocher et chaque colline,
chaque fontaine et chaque ruisselet;
chaque brin d’herbe et chaque arbre,
Montagne, coteau, terre et mer,
Nuage, météore et étoile,
Sont des hommes vus de loin
William BLAKE
Photographies : Bruno Meyssat . 2023.
Strasbourg/ Héraklion/ Aéroport Lyon-Saint Exupéry/ Gorges Samaria-Crête /Florence
14 novembre 2023 au Cadix. Bruno Meyssat