2013 / Ecole du TNB

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Atelier réalisé par Bruno Meyssat, assisté par Yves Delnord en Janvier 2013

Généralités :

Nous avons pratiqué un ensemble d’exercices qui propose une préparation de l’acteur à l’improvisation. L’improvisation étant pour un acteur et du fait de ses protocoles (et défis) une école de très grande rigueur.

L’atelier a proposé des aires de travail où l’activité subliminale foisonnante de chaque élève vient l’affleurer lors de l’exécution de gestes simples ou pendant des enchainements d’actions. Nous avons mis l’accent sur ces situations qui implique d’abord la personne plutôt que des savoirs faire.

Nous avons observé et travaillé au sujet de l’impermanence d’un tel état, d’une telle disposition : elle atteint l’acteur, puis se retire pour réapparaitre à nouveau selon la qualité,l’opportunité du placement intérieur.

Nous avons exploré diverses situations où s’effectue le réglage intime touchant à ces dispositions, ce au fil de circonstances toujours variables (seul ou avec un ou plusieurs partenaires).

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La responsabilité de chaque élève étant engagée pour l’observation fine de ce qui lui arrive. C’est un paramètre cardinal, un souci décisif. Elle implique la constance, la sincérité et l’exigence. Cette demande a bien été comprise et intégrée par la plupart des élèves.

On alors été observés, appréciés les contrôles multiples procédant de nos réticences et provoquant d’inévitables et intermittentes « reprises en main ».

Le chantier s’est ouvert sur des mises en situation paisibles où pudeur et désoeuvrement se conjuguent : l’acteur est alors le premier témoin de la façon dont sa sensibilité se trouve littéralement bombardée de pensées, « de bruits » qui à la fois dilapident ses capacités et manifestent des apriori prompts à ajourner toute rencontre (à relâcher un effort pourtant spontané de découverte ou d’offrande de soi aux autres)

Ces états ont été amplifiés, mis en résonnance, au lieu d’être évités, enfouis. Il faut mieux faire face à ses ombres que de courir avec elles à ses trousses.

Dépliements

Il s’agissait aussi de faire ressentir à quel point ces contrôles (pourtant nécessaires si l’acteur n’est vraiment pas prêt) sont aussi des entraves à l’afflux d’un matériel d’une grande fécondité qui alimente la création intime de chacun.

Il importait aussi de constater combien la liberté gagnée sur ces entraves – fugaces mais assidues- représente un soulagement et un agrandissement des compétences déjà disponibles.

Nous les avons invité à considérer leur passé, leur mémoire, ce qu’ils sont, comme une ressource immense, des domaines où s’alimentent les interprétations et où « s’originent » les actions. De les arpenter afin d’en apprécier aussi toute la part d’ombre. L’ombre n’étant pas un adversaire mais une composante particulière des ressources.

Nous avons tenté de les faire résider fugitivement mais régulièrement dans des séquences de travail où s’éprouve et s’exerce nécessairement leur capacité d’autonomie (cette « capacité à être seul » qui n’est pas une propension à l’isolement mais à la réception de ressource imaginaires librement accueillies et savourées, alors qu’on est placé parmi les autres).

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Nous nous sommes attachés à ce qu’ils repèrent, identifient et privilégient les phases de réussite d’un exercice en cours : ces séquences où cela « a lieu » et se réalise dans une aisance et une émotion qui sont gages de la survenue de capacités.

De nourrir ces réussites par leur remémoration précoce. De ne pas provoquer l’échec par l’évocation de l’échec en se dotant de réserves mémorielles inutiles qui deviendront disponibles dès qu’une intention mal ajustée va les solliciter lors d’une situation instable au plateau.

Projections

Nous souhaitions souligner combien l’activité projective est un don mais aussi un outil fondamental de l’acteur : « voir à l’extérieur de soi des évènements qui procèdent de sa propre scène intérieure ». Ressentir la vigueur de ce processus, sa ductilité. Sa fertilité aussi, à condition que chaque projection soit aussi reconnue et vécue avec son caractère éminemment subjectif, relatif et fugitif.

Cette démarche privilégie une approche de l’acteur comme auteur (d’une écriture de plateau) plutôt que celle d’un acteur interprète (d’un texte par exemple).
Mais les deux domaines se recoupent bien sûr.

C’est donc l’activité incessante, subliminale et inventive de chacun(e) qui a été privilégiée, travaillée et reprise par des situation variées convoquant la plupart du temps la parole
(à cette étape).

Nombre d’exercice provoquent des engagements brefs et successifs comme le parcours d’une aiguille traversant sans cesse un tissu afin de réunir ce qu’elle doit réunir.

Aller dessus et dessous d’une surface est l’essence même de cette première phase. Cette surface c’est l’endroit qui sépare les événements conscients (qui occupent notre esprit-consentant) et les événements pourtant vécus dans le même temps mais qui eux demeurent subliminaux (c’est à dire hors du champ de conscience). C’est un engagement qui exige impérativement de la lucidité et son corolaire : la franchise.

Le MONDE extérieur- la presse

Nous avons invité les élèves à lire des journaux (en particulier le Courrier international) afin de ramener au sein de l’école, milieu clos, la rumeur et la crudité du monde extérieur (sociétal, politique, économique, moral) ses enjeux, ses violences, ses débats.
Nous souhaitons qu’ils discernent ce qui dans cette rumeur les concerne particulièrement en tant qu’individu social doté d’une histoire particulière. De reposer la continuité précieuse de leur personne civile dont la part scolaire demeure transitoire et limitée.

Nous leur demandions de lire les articles qu’ils avaient choisis eux-mêmes comme des textes à part entière. C’est à dire de trouver l’investissement approprié face à ces mots afin de leur donner une chance d’atteindre leur auditeur. Allouer à ces paragraphes le caractère ouvert, actif, intrusif de la littérature. Tenter cet effort là, s’investir afin d’atteindre une amplitude imaginaire avec des contenus même si le travail de la langue n’est pas l’événement premier.

Entre le stand de tir et le plateau

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Nous avons tressé plusieurs jours durant les travaux menés au stand de tir le matin par l’entraineur Yves Delnord et ceux de l’après midi au plateau.
Les processus d’apprentissage observés et commentés dans ce sport et à la lumière de ce que nous apprennent les neuro-sciences sont très utiles pour un acteur. La pratique précise, chronique et délicate du tir à la carabine propose un champ d’expérience favorable, un système expert qui relance la réflexion au sujet des processus mises en oeuvre dans l’imaginaire et les prises de décision (et de risques) de l’acteur, seul ou avec son partenaire.
Le champ d’exploration concernant les automatismes et leur mise en place (afin de faciliter l’éclosion de compétences de haut niveau) propose à l’acteur un chantier où s’instaurent aussi les bases et le désir d’un dialogue avec ses capacités subconscientes.

Le lien de ces deux séquences a été la source d’un déplacement favorable (comme peuvent le faire d’autres sports approchés de cette façon ; c’est notre conviction).

Présenter notre travail

L’atelier s’est clôt par une présentation publique du travail de l’ensemble de la promotion. Réaliser à nouveau les exercices pratiqués habituellement sous la protection d’un milieu clos devant des personnes extérieures demeure un défi.
Maintenir dans ces conditions la lucidité, la concentration et les protocoles de ces exercices sollicite des capacités de recentrage qui sont intéressantes et signes d’un engagement juste.

Cela leur permet de bien différencier la performance (que représente le fait de travailler sincèrement dans cette situation exposée) du résultat (de produire des réussites reconnaissables tout en sacrifiant le protocole fin d’un exercice). En effet les difficultés d’une situation ne sont pas tout le temps reconnaissables à leur juste valeur par un observateur.

« Le bruit » qui monte d’un public assistant à un travail non consolidé (le documentaire fragile d’un travail en cours, fontanelle) peut être assimilé à un jugement. Pour l’acteur, discerner dans cette gêne ce qui est réel et ce qui est projectif. Là est le déplacement et la gageure de cette séquence. C’est aussi le moment précieux de mesurer ce qui existe humainement entre les acteurs d’un groupe, comment se révèle cette communauté à l’épreuve d’une observation extérieure.

Bruno MEYSSAT- février 2013