(titre provisoire)
Diffusion
Création prévue : Automne 2023
Production Théâtres du Shaman
(Coproduction en cours)
Théâtres du Shaman est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Auvergne Rhône Alpes,
la Région Auvergne Rhône Alpes
et reçoit le soutien de la Ville de Lyon.

Avec RENVERSEMENTs nous tentons un autre chemin.
Cette création ne se présente pas au public avec un thème déclaré.
Cette façon différente afin de pousser plus avant certains aspects de l’écriture de plateau (improvisation, montage, mixage, correspondances).
Nous Privilégions l’ouverture qu’offre une écriture de plateau affranchie d’une thématique accaparante.
C’est une invitation renouvelée faite au public pour exercer plus librement ses activités de projection et son imaginaire à la rencontre d’une forme dont le sujet n’est pas annoncé.
Ce « recul thématique » n’empêche nullement un soin porté à la documentation et à des thématiques sous-jacentes.
Deux thématiques principales pour RENVERSEMENTs :
Des récits d’ascensions dans l’Himalaya
particulièrement dans la zone « de la mort », ces espaces dont l’altitude voisine ou dépassent les 7 500 mètres.
Là, exposés à l’inconnu, quelques hommes et femmes en ont rapporté des états de pensée, des comportements et des questions.
L’esprit et le corps malmenés y ont déployé des ressources physiques et mentales inédites où le subconscient a été impliqué. Dans ces situations presque surnaturelles des solutions de survie.
Ces personnes ont parfois été rejointes par des manifestations venues des limbes ou par des fantômes -de leur histoire-.

Reinhold Messner au sommet du Nanga Parbat (1978).
Un autoportrait
A ce titre les récits de Reinhold Messner ( Nanga Parbat en solitaire, le Sur-Vivant...) et de Greg Child (Théorème de la peur ) sont remarquables, précis et étonnants.
« (6 août 1978, 18 :00, dans une tente à 6 400 mètres).
Une sorte d’état second. Aujourd’hui je sens la présence d’êtres humains, mais je ne peux pas les voir. Je parle avec eux, sans savoir si c’est à voix haute. Je ne désire rien découvrir de concret je suis là, j’observe. Je suis tout cela. Je ne crois pas raisonnablement à la présence de mes compagnons, mais, dès que je cesse de réfléchir, ils réapparaissent. (…) Un pas vers le haut, ce sont deux pas de plus qui m’éloignent de la plus proche demeure humaine…Être seul définitivement, c’est un problème dont jamais l’homme ne saura se défaire. »
Reinhold Messner in Nanga Parbat en solitaire
On pourrait ajouter la narration par Elisabeth Revol ( Vivre ) de son accident récent au Naga Parbat et son exposé des déchirements survenus lors de l’abandon en haute altitude de son compagnon de cordée Tomek Mackiewicz, aveugle et atteint d’un œdème cérébral et pulmonaire.
(Nanga Parbat.26 janvier 2018. à 7 282 mètres)
« Mes larmes gèlent, se pétrifient. (…) « les secours s’organisent… ». Il répond seulement « oui » Je lui demande si il n’a pas trop froid « non »…(…) Quelques centaines de mètre après mon départ, je me retourne brusquement. La crevasse ! Je n’ai pas marqué la crevasse où j’ai abrité Tomek avec mon bâton pour signaler l’entrée ! (…) L’image atroce de son visage, de ses mains. Je perds mon instinct, je n’arrive plus à me concentrer.. Le temps me fait peur. J’erre à travers ces cailloux… »

Greg Child, grimpeur chevronné, a étudié sur lui même les pressions et déformations ce la psyché quand on se trouve aux prises avec l’adversité de la sauvagerie en haute altitude.
Il rappelle :
Voytek Kurtyka (alpiniste polonais) pense que ce genre de phénomène est « l’expression de la machine humaine en train de se disloquer et il ajoute : « Quelle que soit l’explication, il y a des choses que nous avons dans la tête et qui ne peuvent se manifester que dans des situations extrêmes. L’escalade en Himalaya est intéressante car elle permet l’accès à certaines parties du cerveau qui normalement sont inaccessibles ».
Greg Child. in Théorème de la peur.
Les faits rapportés, les états mentaux décrits ont de singuliers échos avec la nébuleuse formée par les récits et croyances des peuples népalais ou tibétains. Ces correspondances s’affirment particulièrement pour les aires-limites entre vie et mort, l’ici et l’ailleurs et toutes les frontières auxquelles conduisent la peur ou l’instabilité.
Là où on doute de la réalité des situations et même de l’unité de sa personne.
Toutes ces scissions qui, en altitude et exposés aux danger de disparaître, viennent traduire l’agglomérat instable que nous sommes.
Dans tous les récits d’altitude l’archaïque et ses mondes se manifestent à un moment ou à un autre.
L’homme « moderne » s’y voit dans toutes ses composantes et il est très vieux en fait.
Cette région du monde semble offrir, par les contraintes qu’elle exerce sur les corps (en matière d’altitude, d’adversité, de solitude) l’apparition d’un double panorama de l’esprit : ancestral dans la religion des résidents de l’Himalaya et contemporain dans les témoignages de grimpeurs venus d’ailleurs.
Soumis à des affects de grande intensité, le corps pris dans un effort physique qui cherche une issue pour survivre respirer, avancer, engagés dans un paysage qui les nient (et peut sembler les observer) ces personnes font intrusion dans un espace qui exacerbent des réalités assoupies de nos existences. Ils provoquent des forces comme le feraient les chamanes lors des séances, traversant la désolation, le danger de lieux « autres ». Là où l’unité peut se défaire.
Par les témoignages des grimpeurs on aborde les domaines du conte, de la légende. C’est une aire qu’on ressent comme traversée par le paranormal.
« Je suis baigné de sueurs dans mon sac de couchage. Je me redresse je vois un corps dégringoler la paroi et foncer dans la direction. Saisis de terreur. La masse humaine tournoyante m’effleure au passage et je me rends compte que celui qui tombe c’est moi. (…) Mon corps tout entier est disloqué comme un puzzle défait. Je vivais la scène comme si j’en étais à la fois acteur et spectateur. (…) Je ne sais pourquoi j’ai si peur. »
Messner. Nanga Parbat en solitaire.
Alexandra David Neel, en écho à ce vécu quelque, expose la vison qu’on les Tibétains de l’esprit et de la vie cachée qui s’y déploie :
« Des parties de notre personnalité consciente peuvent vivre, à la fois, dans différents mondes, y expérimentant simultanément divers modes d’existence. (…) « Le double » manifeste de l’activité à un endroit plus ou moins distant de celui où se trouve le corps dont il est séparé. Celui-ci continue à se comporter normalement. Il n’est pas immatériel. Il peut, ainsi, faire illusion à ceux qui l’aperçoivent, mais le plus souvent il erre, invisible, il assiste, sans qu’on soupçonne sa présence, aux scènes que certains individus relatent à leur réveil. (…) »
Alexandra David-Neel. Immortalité et réincarnation

Reinhold Messner au sommet du Nanga Parbat (1978).
Cette fois, l’ombre d’un objet…
Espace mental
Pierre Béghin écrit, lors de l’ascension du K2 en 1991 (à 7800 mètres sur son éperon nord) après avoir dépassé de veilles cordes qui commencent de pourrir :
« Depuis la découverte de ces vestiges d’ascension, j’ai la certitude d’une présence. Ni bruit de voix, ni vision précise, une illusion plutôt : autour de nous « on » se déplace, mais « on » nous ignore comme si deux modes se superposent, transparents l’un à l’autre. »
in Hautes altitudes. Voyage dans l’oxygène rare.
En fait tout ce qui nous touche et nous instruit c’est bien la nature mentale de tous ces événements.
Et un trouble se déclare encore davantage qui provient du tiraillement, de l’incompréhensible côtoiement entre l’espace intime du grimpeur, objet visité et revisité par une créature seule, assaillie, diminuée et la démesure de ces sommets, de ces pentes.
« le K2 par sa forme, rappelle le Cervin mais il ne faudrait pas moins de quarante et un Cervin pour reconstituer le amasse dont rocher dont est fait le K2.. ».
W. Bittorf.
L’appréciation des distances interroge, leur vécu est de tous les drames. Quelques mètres, quelques centimètres et la vie s’échappe ou le désespoir commence.
On peut mourir pour un centimètre.
Ce sont d’infimes détails qui obnubilent ces récits. Ce sont eux qui pourront faire la catastrophes: un gant qui s’échappe, un crampon qui casse, le gaz qui n’arrive pas à s’allumer…Ce sont aussi des détails qui sauvent: une paire de ciseaux oubliées dans un sac qui se substitue par miracle dans un mur de glace au piolet cassé.
Ces témoignages sont une véritable enquête sur ce que l’esprit constate en lui même dans l’antichambre de la mort.
Là où ce qui demeure est comme une petite boite minuscule qui contient tout et est le seul recours.
Des coutumes et des superstitions
Ce corpus pourra être fécondé par un ensemble « d’autres » textes se rapportant à des coutumes et des superstitions collectionnées et rapportées par des ethnologues. Elles proviennent des Alpes françaises (le fantastique propre aux montagnes – au paysage d’altitude- a pu contribuer à leur vigueur) mais pas seulement.
On pense aussi à des chapitres du Rameau d’or de J. George Frazer, du Folklore français de Van Gennep, aux collectes effectuées en Savoie par Charles Joisten, voire à celles de Anatole le Braz en Bretagne.
Ces textes ravivent en nous l’écho de croyances anciennes, celles propres aux périodes cruciales de la vie quand s’exercent sur nous la puissance accrue des seuils : crépuscule, naissance, agonie, mauvaises rencontres…
Ils témoignent d’un récit commun enfoui, d’un drame intérieur entreposé aux limites de notre conscience. Il est partagé et maintenu vivant-oublié. Nous venons d’eux.
« Toutes les fois que naissait un enfant, naissait avec lui son double qui le suivait à travers toutes les périodes de sa vie. (…) Ce ne sont pas seulement les êtres humains qui ont un double, mais aussi les pierres les arbres, les objets naturels ou artificiels.
Il existe le double d’un lit, d’une chaise, d’un couteau ; ils ont la même forme que l’orignal. (…) Mais leur essence est si fine que seules certaines catégories de personnes peuvent percevoir les doubles grâce à leurs dons ou à un entrainement spécial. »
in Le Rameau d’Or. G. Frazer. Tome 1
A 400 mètres environ et au sud du village de Hanhon, dans un mur au bord de la route même, se trouve une très vieille et intéressante croix de granit. A côté de cette croix se voyait un revenant dit Spontaill-er-Groez.
in Carnac. Légendes traditions, coutumes par Z. le Rouzic
Tous ces éléments seront assimilés, dévorés par les répétitions et ils présentent des correspondances.
On peut nommer cette dominante pour RENVERSEMENTs :
des humains en présence (et en désir) de fantastique.
Les Objets
Ces situations, ces seuils, impliquent résolument les objets.
Nous savons d’expérience que lorsque les domaines du subconscient et des croyances sont activés, les objets ne sont jamais bien loin.
Ce sont eux qui facilitent la manifestation au plateau de certaines réalités et ouvrent l’espace à cette sorte d’inconnu. Cette fois les acteurs choisiront aussi les objets emmenés dans cette aventure. Cela va permettre l’arrivée au plateau de « choses » imprévues, ces quelques « refusés » qui à cette occasion vont prendre leur place.

par une avalanche en redescendant avec son frère du
Nanga Parbat (1970)
S’organiser :
RENVERSEMENTs pourra comporter 4 ou 5 mouvements impliquant de 1 à 4 interprètes.
Certaines thématiques, comme des principes actifs, façonneront différemment les parties (mouvements) du spectacle. Comme en musique celles-ci auront des tempéraments divers: largo, scherzo, presto…
L’essence de RENVERSEMENTs est le fragment et la bifurcation.
Le montage des séquences se tiendra éloigné du souhait d ‘édifier le spectateur, de le documenter, de lui expliquer des réalités.
Il s’appuiera sur les dynamiques propres des situations et actions recueillies en répétition pour construire des durées organisées, nécessaires.
L’instabilité est un pedigree de RENVERSEMENTs.
Il s’agit aussi d’une aventure concernant la signification, d’abord en répétition -pour l’acteur- puis lors des représentations – pour le spectateur-.
Les répétitions pourront avoir lieu dehors, en montagne, dans un champ…
Une exposition
Des vitrines proches du lieu même des représentations pourront contenir des objets qui ont « participé » aux répétitions sans pourtant atteindre la version finale du spectacle. D’autres proviendront des lieux de notre travail comme des « prises » isolées du monde extérieur.
Ce seront des « objets trouvés » ( car choisis ), des prélèvements de paysages traversés…

Massif des Ecrins (2021)
Bruno Meyssat – 6 juin 2022 –
Théâtres du Shaman. Lyon